Au 19e siècle en France, la mortalité infantile était un fléau dévastateur. Léon Dufour, un éminent pédiatre français de cette époque, joua un rôle majeur dans la lutte contre ce fléau. Sa brillante idée fut de créer des dispensaires destinés à distribuer des biberons de lait stérilisé aux mères défavorisées tout en assurant un suivi attentif des nouveau-nés.
À cette époque, la survie des nourrissons était incertaine, et la mortalité infantile sévissait, touchant un nouveau-né sur cinq avant son premier anniversaire. La moitié de ces décès étaient attribués à des infections digestives, et grâce aux découvertes de Louis Pasteur, les médecins commencèrent à identifier l’alimentation comme l’un des coupables. La révolution industrielle avait perturbé l’allaitement maternel, forçant de nombreuses mères à recourir à l’allaitement artificiel. Cependant, le lait de vache, cher et difficile à conserver, était souvent altéré, exposant les nourrissons à des risques.
Le biberon, apparemment inoffensif, s’avéra être un vecteur de danger dans cette équation. C’est alors que Léon Dufour, médecin à Fécamp, décida de mener une croisade contre ces biberons meurtriers. Dans cette ville côtière où la majorité des femmes travaillaient dans les conserveries de poisson, la mortalité infantile était encore plus préoccupante.
En 1894, il fonda « l’Œuvre de la Goutte de Lait » avec une idée simple mais révolutionnaire : distribuer des biberons stérilisés aux mères ouvrières. En plus de la distribution de biberons, le Dr. Dufour proposa des consultations pour les nourrissons, comprenant des pesées hebdomadaires et des examens cliniques. Bien que conçue pour les classes modestes, l’Œuvre de la Goutte de Lait attira finalement des femmes de tous milieux sociaux, et les résultats furent spectaculaires.
Au début du 20e siècle, la municipalité de Cambrai, sous la direction de Paul Bersez, se consacra à la lutte contre les fléaux médicaux de l’époque en créant des institutions spécifiques pour chaque étape de la vie. La mortalité infantile, qui représentait près de 20 % des décès des moins de 10 ans, était une priorité. Grâce aux découvertes de Louis Pasteur, Edmond Garin, le deuxième adjoint, utilisa un legs pour mettre en place des installations de surveillance médicale des jeunes enfants.
Ainsi naquit « La Goutte de Lait, » située rue du Temple à Cambrai, inaugurée le 15 janvier 1905. Des médecins et des sages-femmes y assuraient des consultations pour les nourrissons, et du lait pasteurisé, exempt de tout germe, y était distribué sous surveillance laboratoire. En 1910, cette initiative avait pris en charge 243 enfants et distribué 35 000 litres de lait ! Ses effets indiscutables contribuèrent de manière significative à la réduction de la mortalité infantile.
Bien que le site ait été fermé, l’immeuble a été restauré par le CCAS de Cambrai. Le décor au-dessus de la porte de « La Goutte de Lait » rappelle toujours l’œuvre voulue par Edmond Garin, avec un linteau en céramique représentant deux enfants potelés se délectant de lait, accompagné d’une vache. Une inscription aux lettres inspirées du style Art nouveau achève de commémorer cette initiative exceptionnelle.